1789
La révolution Française à
COLLEVILLE SUR MER

Voici un village ordinaire dans le Calvados Où les deux-tiers des localités ont moins de 500 habitants. En 1789, cette paroisse se compose de 73 feux et 311 âmes, dont le seigneur, qui est naturellement le plus grand propriétaire et le curé d'ont le revenu annuel de la cure ne s'élève qu'à 2500 livres. Ni Grande Peur, ni révolte agraire n'ont touché le Bessin. En février1790, le comte charles de Marguerie, ci-devant seigneur, est élu président de l'assemblée électorale et maire du village par les 45 citoyens actifs. Le régime représentatif installe au pouvoir municipal ceux qui détiennent le pouvoir économique et social dans le village. Les journaliers ne verront pas la donne modifiée sous la République : Colleville-sur-Mer, un village immobile, où tout a changé en 1789 pour que rien ne change Iocalement ?

Ce village du Calvados ne crée pas sa societe populaire comme tant d'autres en l'an II pour opérer la fusion des coeurs et des esprits, participer à la récolte du salpêtre, national et vivre intensément les fêtes républicaines, commne il n'a pas vu non plus son curé prêter le serment de fidélité au nouveau régime dans le seul district constitutionnel du département. Si le seigneur joue le jeu patriotique -du moins jusqu'au printemps 1792 - en revanche Ier curé se pose en réfractaire aux idées dominantes. Convient-il de dire que l'un est normand, et l'autre breton, pour expliciter les prises de position initiales ? Ce serait assurément trop rapide.

Mais le fait est que le curé du village, François Belloeil, un quinquagénaire né dans la region de Saint-Brieux, joue d’emblée les trouble-fetes en brisant l'apparent Consensus patriotique de la commune et en invoquant " la gloire de la religion " pour ne pas s'agenouiller devant l'autorité temporelle.

Quoique notable dans la municipalité, il soit pris à parti, dès le 26 décembre 1790, par les paroissiens parce qu’il refuse à son vicaire le droit de dire la messe. Puis les 1er et 2 janvier 179 I, c'est l'émeute au village: les paroissiens veulent chasser François Belloeil, perçu comnme un curé intrus. A la tête de la centaine d'émeutiers qui se sont réunis dans le cimetière et tiennent les propos les plus offensants contre Ie curé, figurent le jounaliste Jacques AIix et sa femme. Au maire qui a fait appel aux forces de l'ordre et tente de les calmer, ils répondent qu" ils attendraient huit jours, qu'il était juste que les gros finissent leurs plaintes et leurs représentations, mais que si on ne leur faisait pas justice, les petits la feraient eux-mêmes et ne manqueraient pas leur coup !".

Puis le 30 janvier, le curé manifeste sa vonlonté de prêter Ie serment à la constitution civile du clergé et demande protection à la municipalité. Celle-ci refuse, considérant qu'il n'est plus un fonctionnnaire public, qu'il a manifesté son opposition aux nouvelles lois et que la fermentation est toujours forte contre lui.

Son vicaire et un prêtre envoyé. Par l'évéque de Bayeux pour lui succéder, prétent seuls le serment le 10 février. Le 9 mars, une soixantaine de paroissiens, survoltés par le.jugement des grands vicaires se contentant de suspendre Belloeil de ses fonctions alors que les nouveaux desservants n 'ont pas de logement, investissent le presbytère et chargent ses meubles dans une charrette.

Au printemps 1791 l'affaire n 'est toujours pas règlée : Six émeutiers dont la femme et le fils de Jacques Alix, sont condamnés à payer dix livres d 'amende tandis que le vicaire a rétracté som serment, que Belloeil occupe toujours le presbytere et a pris contact avec I’évéque du Calvados nouvellement élu.

Dés son arrivée dans le département en mai 1791, le parisien Claude Fauchet parcourt sa terre de mission ou il est accueilli comme Ie nouveau Chrysostome dans toutes les églises et les clubs du Calvados jusquau tournant majeur que représente 1a fuite du roi. A Caen,le 4 juillet1791,la statue de Louis XIV a été abattue aux cris de : " Plus de Louis! " au cours d'une émeute républicaine. Trois jours après l’évéque constitutionnel fait une visite impromptue à Colleville-sur-Mer, qui n‘est jamais qu’une des 930 paroisses de son diocès .

Voici I’ancien prédicateur du roi, indisposant la Cour par la Iiberté de son langage, ce " Fénelon révolutionnaire " selon l‘expression d'A. Aulard, se Vantant de sa soutane trouée par les balles le 14 juillet 1789 a Paris et ayant fondé Ie Cercle Social au Palais Royal Ie 13 octobre 1790, qui débarque le 7 juillet 1791 à Colleville-sur-Mer avec la simplicité qui sied aux premiers apôtres. Arrivant par mer, l’évéque chemine à pied, avec pour seule compagnie celle de ses vicaires puisque le maire et les officiers municipaux de la commune n'ont pas élé prévenus de son arrivée, et va à la rencontre des villageois. Au cimetière, d 'abord, à 1’ église ensuite, Ies paroissiens font entendre leurs récriminations contre le curé tandis que l ' évéque, du haut de la chaire taxe les habitants d'injustice envers leur ancien pasteur .Interrompu par les clameurs, il rétorque aux paroissiens que celles-ci ne peuvent pas intimider un vaiqueur de la Bastille et finit sa tournée en donnant la bénédiction de Saint-Sacrement.

La demarche de l‘évêque est condamnée par la municipalité comme un abus de pouvoir.

La municipalité de Collevile se fait l’echo de cette inquiétude et expose sa conduite patriotique : « Fortement attachés à la constitution, ce n’est pas encore l’ancien despotisme seul que nous voulons défendre, mais contre tout systéme qui tendrait à etablir l’anarchie en donnant le pouvoir éxécutif au peuple ».

Une réunion de tous les citoyens de la commune, y compris les Citoyens passifs, est prévue pour discuter des biens communaux.,

Car Ie réfractaire Belloeil, empêche qu Il a été de prêter le serment constitutionnel, est devenu désormais Ie porte-parole de la contestation populaire Le curé a, en effet, rédigé et placardé dans le village des textes demandant la restitution des propriétés communales. Ainsi sollicitée, la municipalité propose à cette réunion de retenir le principe q’une possession depuis 40 ans a valeur de titre. D'un côté, elle est contrainte d’inscrire le sujet a I’ordre du jour de ses délibérations et de procéder a l'élection de trois commissaires. choisis en dehors des officiers municipaux et notables, pour connaître ces usurpations de terres collectives mais, de l' autre, elle accuse le curé d'animer " les pauvres contre les propriétaires, de dire aux malheureux, à la veille des moissons que les récoltes leur appartiennent " et de leur assurer que le recours aux autorités municipales et judiciaires était inutile, Le 1 et août. la municipalité se préoccupe de savoir si le curé allait souvent chez les pauvres et s'il n’avait pas distribué, des copies de ses écrits.

A l’automne 1791, quand la Législative remplace la constituante et que le régime monarchique est pérennisé, le renouvellement de la municipalité villageoise se borne à perpétuer le maire dans ses fonctions et à confier la fonction de procureur de la commune au gros laboureur Jean Détours, accusé par le peuple d'exploiter les biens communaux. Au vote des électeurs s’oppose la pratique pétitionnaire des opposants à la politique municipale.

Tandis que le curé Belloeil transmet sa requête contre la municipalité aux autorités du district et aux Amis de la Liberté de Bayeux. un gagnedenier de Colleville, marié et père de famille, s'adresse à la société des Amis de la Constitution de Caen, Il écrit à « ses frères de Caen, les véritables amis de la chose publique", les persécutions que subissent les bons patriotes de sa commune qui vont à la privation de travail par " tous les riches de la paroisse " aux coups de bâtons donnés par les domestiques du Château, à l'emprisonnement et aux supplices sur la place publique.

Son mémoire dénonce le maire. " ci-devant gentilhomme et seigneur engagiste ". comme un aristocrate sans scrupules"' Une enquête est alors diligentée par l’administration départementale Celle-ci improuve, en janvier 1792, la conduite de Belloeil en lui rappelant que " tout citoyen doit soumission à la loi et respect aux autorités qu'elle a instituées. Le ministère de paix dont vous êtes revêtu vous impose plus étroitement d’en donner l’exemple et, surtout, de vous abstenir à jamais de déclarations hasardées et de dénonciations sans preuves ". Puis, en février 1792, elle dénonce les « extravagances " de Lecomte qui sont «prouvées " par tous les témoignages, à l’exception de celui tout à fait suspect du curé »

Au printemps 1792 avec le départ de M.de Marguerie qui, officiellement, lieutenant colonel du 7éme régiment de cavalerie,.rejoint la garnison de son régiment. Il est remplacé à la mairie de Colleville par G.Yver, procureur de la commune en 1790.

Le 12 juin 1792, c'est une pétition collective qui est rédigée par plusieurs habitants de Colleville pour contester la répartition de la contribution fiscale faite par la municipalité et l'assujettissement des biens communaux.

Le directoire du district rejette la pétition tandis que la municipalité fait arrêter, au cours de ce même mois, la gouvernante du curé pour avoir coupé de l'herbe dans un herbage appartenant, selon le conseil général, à un acquéreur de bien national, mais le 20 juillet, le juge de paix du canton de Trévières autorise les journaliers Jacques Alix, son fils jean et le citoyen actif mais non éligible, Jacques Renouf à poursuivre le procureur de la commune en justice pour occupation des biens communaux.

Forts de ce succès et de l'appui de deux députés de la sociéte des Amis de la Constitution de Bayeux, les contestataires de Colleville-sur-Mer décident 1a création de leur société. Dans l'après-midi du dimanche 22 juillet 1792, après avoir instruit la municipalité, treize citoyens dont neuf qui ne savent pas signer leur nom, se sont réunis au presbytère en présence des clubistes de Bayeux L’ objet de la réunion a été, mis à part l'établissement du club villageois et l'affilialion immédiare à celui du chef-lieu du district, la question des biens communaux. Quatre commissaires, choisis parmi les cjtoyens actifs, ont été désignés pour suivre l'affaire portée en justice par trois des sociétaires contre le procureur de la commune qui revendique la propriété de plusieurs biens communaux jouxtant ses terres.

La réunion dominicale suivante a eu lieu, toujours au presbytère, aprés les vèpres. La proclamation de la Patrie de Danger nourrit les discussions des 23 clubistes : certes; les événements nationaux invitent à rechercher un consensus dans le village, mais les conditions locales ne le permettent pas. La municipalité s'est trop discréditée depuis un an pour que les citoyens présents mettent entre parenthèses la question des terres de la communauté, usurpées par nombre d'officiers municipaux.

La solution envisagée, le 29 juillet, pour sortir de la crise politique locale est la réunion de la commune de Colleville à celle de Susrain. Lors de la réunion du 5 août, quatre autres commissaires sont désignés pour faire avancer le travail sur les biens communaux et utiliser le procès - verbal, dressé l'année précédente par les élus du peuple qui. aux trois quarts, sont devenus membres de la société.

Le recrutement de la société de Colleville est tout à fait original dans l'ouest, à cette date : les paysans analphabètes constituent 41% des effectifs et plus de la moitié des adhérents sont des citoyens passifs. Quant à ceux qui ont le droit de vote sous la monarchie constitutionnelle, les plus riches sont deux fois plus nombreux que ceux qui ne sont pas éligibles. Certaines familles figuraient, comme les Costey ou Le Vigoureux, dans la même tranche fiscale que celle de J. Détours. La propagande du curé Belloeil et des journaliers Alix, désormais réconciliés, a donné naissance à la première sociéié authentiquement populaire du Calvados.

Le dimanche 23 septembre 1792, " le 4e de la Liberté et le 1 er de l'Egalité », selon le cahier des clubistcs, est une séance où déliberent ensemble lcs citoyens du club et de la municipalité: la République réaliserait-elle l'oubli des dissensions ? Le dernier procès-verbal des séances de la société montre du moins l’union affichée de la communauté avec la décision d'écrire, d’une part, au directoire du département pour disculper les habitants des événements de la veille, retatifs a la réinstallation de Belloeil dans ses fonctions curiales et d'autre part a la société de Caen pour lui demander son affiliation, c'est-à-dire son soutien politique.

Mais le registre des délibérations communales révèle que la réunion au presbytère a mobilisé la municipalité qui a aussitôt cherché à saper les bases d'un pouvoir politique concurrent dans le village. Dès le 7 août, elle enregistre la déclaration d'un premier citoyen, qualifié de " demi-errant ", qui " se désiste des signes qu'il a donnés aux assemblées qui se sont tenues au presbytère " tant en faveur du curé que pour prendre possession des terres usurpées sur les biens communaux. Trois autres citoyens, aussi dépendants économiquement, viennent prèter la mème déclaration au cours du mois d'août.

Toutefois, la municipalité est obligée de consigner aussi dans son registre, à la date précisément du 23 septembre, l’arrêté du Conseil épiscopal de Bayeux du 16 septembre qui relève Belloeil de sa dernière interdiction et le rend apte à remplir les fonctions curiales dans l'église de sa paroisse. Elle y déplore l'erreur des vicaires généraux, souligne la rétraction de plusieurs habitants, annonce son intention de pousuivre l' affaire Belloeil devant le tribunal criminel du département et signale les troubles qui ont eu lieu la veille, dans la paroisse, suite à sa requisition d'une cinquantaine de gardes nationaux pour interdire au curé le droit d'inhumer un paroissien dans le cimetière.

L'affaire du 22 septembre etait donc la reconnaissance officielle des activités pastorales du curé, chez qui se réunissaient les opposants à la politique municipale. La municipalité triomphe les jours suivants : sept autres citoyens viennent, tour à tour , prèter la déclaration qu'elle exige depuis la création de la société populaire avant que le lieutenant de la gendarmerie de Bayeux ne dresse son procès-verbal accusant le curé d'être l investigateur des troubles. Le lendemain de son arrestation, le 28 septembre, est un jour de triomphe pour les édiles puisque ce sont huit clubistes qui se présentent au greffe de la municipalité pour signer, eux aussi, la reconnaissance de leur défaite.

Tous les membres de la société populaire ont donc fait amende honorable, sauf quatre irréductibles: le curé François Belloeil, 56 ans, et le journalier Jacques Alix, 51 ans qui, le 1er novembre 1792, sont transférés à la prison de Caen, tandis que le président, Michel Duperrey, et François Delozier, ont dû payer leur caution devant l'officier de gendarmerie du district.

L'appel aux frères et amis de Caen n'a pas été vain: ceux-ci ont dénoncé la forfaiture de la municipalité qui a utilisé la force publique contre des citoyens pacifiques et contre un curé, réintégré dans ses fonctions par le conseil épiscopal, Pour la municipalité de Colleville, les protestataires caennais, séduits par des hypocrites, ont cru défendre un ami de la Liberté et de l'Egalité alors que les officiers municipaux, le maire et le procureur de la commune, dénoncés comme des aristocrates, sont en fait attachés à leur devoir de fonctionnaires publics depuis Ie début de la revolution.

Le 2 decembre, c’ est Jean Détours qui est elu maire de Colleville et qui sera confirmé dans ses fonctions en frimaire de l'an II de la République tandis que le comité de surveillance de Bayeux, établi par le représentant du peuple Lindet, nomme deux commissaires pour prendre des informations sur Belloeil. A la question de savoir si le premier maire du village est bel et bien un émigré, un certificat parvient de Sedan le 22 mars 1793 pour rassurer les notables tandis que Ie président de la ci-devant société populaire est poursuivi en justice, deux mois plus tard, pour Ie vo1 d'une vache.

Les éphémérides de la revolution dans ce village montrent l’ Importance de l'année qui va de Varennes à la prise des Tuileries. Dans cette vacance du pouvoir exécutif lorsque le maire quitte le pays, le curé anime la vie politique locale avec le soutien des journaliers de Colleville tandis que la République officielle voit s’opérer le retour a l’ordre. Si la lutte des classes n’était pas a l’ordre du jour sous la République Jacobine, retenons ainsi la question des biens communaux sera récurrente pendant tout le XIXème siècle.

Extrait de "Pour la Révolution Française" Receuil d'étude réunies par Christian LE BOZEC et Eric WAUTERS Publication de l'université de Rouen
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