Ouest-France 30 Juillet 1977


"Quartier-maître Bernard Anquetil"

Un aviso de la marine nationale porte le nom d'un enfant de Bernières-d'ailly

A l'arsenal de Lorient, un aviso de la classe "A69", le sixiéme de la série,achève son armement. Lancé le 30 avril dernier il devrait, aprés ses derniers essais, entrer en service actif en janvier 1978 pour être affecté à la flottille de Toulon. Il portera ainsi sur les rives de la Méditerranée le nom d'un jeune Normand du Calvados dont l'héroïque conduite dans la ré- sistance pendant la dernière guerre lui vaut cet honneur, trés rarement ac- cordé dans la Marine Nationale. Le nouvel aviso portera en effet, dès maintenant, le nom de "Quar- tier-maître Bernard Anquetil". Il s'a git d'un jeune quartier-maître radio qui, à partir de Saumur, et pour le réseau de renseignements de la Fran- ce libre "Confrérie Notre-Dame", celui du Colonel Rémy transmettait à Londres des informations capitales sur l'activité de la Marine de guerre allemande dans les ports francais.


Dans son numéro du 23 avril dernier, la revue"Cols Bleus", sous la plume précisement du ColonelRémy, rapporte les conditions dans lesquels le jeune marin normand, fait prisonnier aprés le sabordage du sous-marin "Ouessant" à Brest, le 19 juin 1940, et démobilisé grâce à l'administration de la Marine Française, maintenue à Brest dans le cadre des conventions d'armistice, futcontacté par le colonel Rémy sur recommandation de l'ancien officier en second du sous-marin "Ouessant", le lieutenant de vaisseau Philippon, alors "chef des jardins de l'arsenal de Brest".

Le colonel Remy avait en effet besoin d'un radio pour transmettre vers Londres les messages de renseignement de la plus haute importance qu'il avait collectés. En effet, à cette époque (février 1941), les deux cuirassé de poche allemands"Scharnhorst" et "Gneisenau" était en réparation à Brest, aprés une croisière particuliérement meurtrière contre les envois britannique dans l'Atlantique. L'Amirauté de Londres avait besoin de renseignements pratiquement quotidiens sur la situation des deux bâtiments allemands.

Et c'était la mission- mais aussi le risque- du jeune quartier-maître radion de transmettre ces messages codés à partir de Saumur, où il avait transporté, de zone libre, un lourd matériel émetteur. C'est justement l'importance et la longueur de ce trafic qui devait permettre aux services allemand de récupérer l'émétteur et de procéder à l'arrestation de Bernard Anquetil, le 31 juillet, alors qu'il transmettait vers Londres un message relatant les graves avaries subies au large de La Pallice,par le "Scharnhorst", repéré par les bombardiers anglais grâce aux précédent méssages.

Aprés avoir détruit le message et le poste émétteur au moment de l'irruption des Allemands, le jeune Bernard Anquetil tenta de s'enfuir et fut bléssé par balles. Il fut soigné à Angers, avant d'être transféré à la prison de Fresnes, où il comparut le 15 octobre 1941 devant une cour martiale qui le condamna à mort.

Ayant refusé de révéler la teneur et l'origine des messages qu'il transmettait contre lesquels on lui offrait sa grâce, il fût exécuté le 24 octobre 1941. Le colonel Rémy conclut ainsi son article"J'avais pu aviser Londres de l'arrestation de Bernard Anquetil, en déclarant que le sort de mon réseau, encore à ses début, dépendait absolument de l'attitude qi'il adopterait devant les policiers qui l'interrogeraient. Ma confiance en lui était telle que je continuai d'utiliser mon gîte de fortune de Nantes, où il était venu plusieurs fois... Il est hors de doute que j'ai dû à l'heroïque sacrifice de notre jeune camarade d'avoir pu poursuivre ma tâche".

Cet héroïsme fut reconnu à deux reprise par le Général De Gaulle qui fit Bernard Anquetil compagnon de l"Ordre de la Libération le 21 novembre 1942, et qui par décision du 11 mai 1945 le cita a l'ordre de l'armée de mer avec attribution de la croix de guerre avec palme, aprés que le 6 avril 1944, le Comité francais de la Libération national à Alger lui ait décerné la médaille de la Résistance.

Né à Bernières d'Ailly

Ce jeune résistant à qui la Marine Nationale vient de rendre un hommage tout à fait exceptionnel en donnant son nom à un navire de guerre, était né le 20 décembre 1916, à Bernières-d'Ailly. On se souvient encore, dans ce petit bourg aux confins de la plaine de Caen et du pays d'Auge, du jeune garçon toujours gai qui fréquenta quelque temps l'ecole communale du bourg, était en effet le septième enfants d'une famille qui comportait trois filles, et trois autres garçons (Léon, Albert et Richard).Son père était alors employé à la laiterie de Bernières-d'Ailly. C'est vers l'âge de 9 ou 10 ans qu'il quitta Bernières pour aller à Saint-Maclou où son père avait été embauché dans une autre laiterie. "Avant sa communion" se souvient Mme Richard Anquetil, sa belle-soeur qui vit maintenant à Falaise.
On devine son émotion lorsque 35 ans après le drame, elle évoque ses souvenirs. "C'était un garçon calme et gentil, trés gai et trés jovial... Si j'arrive à faire ce que je veux, disait-il a ses parents, vous serez tous heureux..." Aprés avoir passé son brevet élémentaire à St-Pierre-Sur-Dives, il fut engagé comme clerc d'huissier à l'étude de Me Pommier, de Trevières (une rue de ce village porte du reste son nom). Suivant l'éxemple de ses frères Léon et Richard qui avait tous deux servis dans la marine nationale, il s'était engagé par devancement d'appel dans la Marine, en 1936, vocations inattendues dans cette famille de terriens.
Puis ce fût la guerre, la résistance où il vécut sous le nom de Lhermitte, d'abord à Angers ou une de ses soeurs tenait un hôtel (une rue de la ville porte là encore porte son nom), puis a Saumur où il fut finalement arrêté. Mme Richard Anquetil frémit encore en évoquant le calvaire qui fit le sien pendant ses interrogatoires à Fresne. Mais il refusa toujours de parler malgrès la torture. Ses lettres, transmises par l'aumônier militaire allemand de la prison, laissaient entendre à sa famille les rigueurs de sa détention "Ne donnez pas les croûtes de pain aux lapins, écrivit-il une fois à ses parents ; Envoyez-les moi: j'ai faim, j'ai faim !"
Enterré à Montrouge, dans le "carré des fusillés", aprés son éxécution, il repose maintenant au cimetière de Colleville-sur-mer, auprés de son pére, tué au moment du débarquement. Ses frères sont mort eux aussi ; seules de la famille subsistent ses trois soeurs, dont deux vivent à Ecajeul, et l'autre à Rouen.
Elles gardent maintenant, seules, le souvenir d'un frère "qui avait une véritable passion pour la France", un souvenir qui vient de raviver, en le magnifiant, le baptême de l'aviso "Quartier-maître Bernard Anquetil".
A.G.
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